La science, la cité

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Être auteur ou ne pas être auteur ? La signature en science

Après un billet déjà  ancien riche en données quantitatives, étudions ce que la sociologie et l'étude micro des pratiques nous apprend sur la collaboration en science, et en particulier sur la signature des articles scientifiques. Avec la communauté des physiciens comme modèle[1]

En physique à  la différence de la recherche biomédicale, il est considéré normal de voir des listes d'auteurs assez longues pour certains articles, notamment en physique des hautes énergies. Alors qu'en médecine des propositions éditoriales et l'éthique ont tenté de mettre de l'ordre dans ces pratiques, la physique n'y voit pas matière à  discussion. L'hyper-cosignature (hyperauthorship) ne facilite pourtant pas l'évaluation de la contribution de chaque auteur ” base du système de récompense à  la Merton (reward) au sein de la communauté scientifique. Comment expliquer cette apparente contradiction ?

En fait, signer un article scientifique a trois rôles :

  1. s'attribuer le crédit d'une découverte (pourtant, les expériences sur les accélérateurs de particules sollicitent parfois 2000 chercheurs, ingénieurs et techniciens mais seule une petite équipe de chercheurs conduit l'analyse aboutissant à  un article : qui créditer ?),
  2. en reconnaître la paternité (et tout ce qui va avec : la responsabilité en cas de fraude, la propriété intellectuelle en cas de brevet etc.)
  3. permettre l'accroissement de sa réputation ou "capital symbolique" (qui est le moteur du champ scientifique, et explique certaines co-signatures de complaisance).

A la suite de 32 entretiens menés auprès de chercheurs, ingénieurs et responsables des expériences de LHC au CERN, Birnholtz a constaté que les physiciens sont bien conscients de ces enjeux et ont quelques stratégies pour les aborder. En ce qui concerne le crédit, des formulaires visés par la hiérarchie permettent de trouver un consensus sur les auteurs à  faire figurer sur chaque article, listés dans l'ordre amphabétique. Et aucune publication n'est permise sans qu'elle soit validée par la hiérarchie ” interdiction donc de publier dans son coin en s'attribuant tout le crédit d'un travail collectif. Les chercheurs sont également bien conscients que sur des projets qui s'étendent sur des décennies et demandent énormément de travail en amont, les ingénieurs décédés comme les techniciens de l'ombre sont aussi importants que le jeune post-doc qui a réalisé l'analyse des résultats.

La paternité en découle, bien qu'elle soit parfois sujette à  conflit : les chercheurs font souvent référence à  l'histoire de Carlo Rubbia, qui a obtenu le prix Nobel de physique en 1984 pour la direction d'un travail collectif au CERN, récompense qui n'a été permise que par le travail d'environ 200 personnes. Certains chercheurs sont aussi prudents à  l'excès, préférant retirer leur nom qu'endosser la responsabilité d'un article qu'ils n'ont pas lu ou ne se sentent pas capable d'expliquer en public.

Concernant la réputation, elle est extrêmement important face à  la misère des postes offerts, mais se juge presque plus d'après le bouche à  oreille que le CV ” certains chercheurs reconnaissent en effet qu'il n'ont lu que très peu des 200 articles figurant sur leur CV ! D'où l'importance de la réputation informelle, celle acquise par le ouï-dire mais aussi lors des réunions d'équipe, des séminaires, des colloques etc. Ou encore, évidemment, en se mettant en position de meneur

Mais ce système très encadré par la hiérarchie et sans possibilité de recours formel fait des malheureux. Ce sont surtout les femmes (représentant seulement 10 % du personnel du CERN) ou les chercheurs non-permanents qui estiment ne pas avoir la reconnaissance qu'ils mériteraient. Il est dur d'être parfaitement juste à  cette échelle, là  où Merton voyait pourtant un système démocratique idéal[2] !

En fait, selon Birnholtz, il faudrait distinguer (notamment dans les publications) entre deux niveaux d'auteurs : le niveau "infrastructural", lié à  la conception des détecteurs et logiciels, récurrent dans la série d'articles issus d'un même appareillage ; et le niveau "découverte" différent pour chaque article, revendiqué par les auteurs qui peuvent défendre leurs résultats au niveau le plus fin.

Notes

[1] Jeremy P. Birnholtz (2006), "What does it mean to be an author? The intersection of credit, contribution, and collaboration in science", Journal of the American Society for Information Science and Technology, 13(57): 1758-1770 (preprint)

[2] Robert K. Merton (1942), "A note on Science and Democracy"

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La collaboration en science : scientométrie

Vous avez sans doute entendu parler de cette avancée récente sur la modification biologique des groupes sanguins, obtenue par une collaboration franco-américano-danoise — la France étant représentée par une unité mixte entre le CNRS et l'Université d'Aix-Marseille. Ou de cet article méthodologique paru le 30 mars dans PLoS Computational Biology et décrivant les 10 règles d'une collaboration réussie. Oui, la science semble se faire désormais en collaboration. Mais qu'en est-il exactement ? Dans le premier billet consacré à  ce sujet, nous solliciterons la scientométrie qui "mesure la science" par divers comptages, méthodes statistiques et indicateurs de la recherche.

Quel volume ?

Comme le rappelle Yves Gingras dans son article sur "Les formes spécifiques de l’internationalité du champ scientifique" (Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142: 31-45, 2002), l'internationalité de la science et les formes de collaboration qui la traversent sont devenues la norme, une marque des nouveaux temps écrivait Bachelard en 1951 dans L’Activité rationaliste de la physique contemporaine. Les articles écrits en collaboration ne constituaient environ que 2 % de la production savante en 1800 et autour de 7 % en 1900. En 1995, seulement 13% des articles comprenaient un seul auteur.

Quelles disciplines ?

On constate aussi que cette collectivisation du processus de recherche croît avec la lourdeur des équipements requis (physique des particules), la complexité et la diversité des tâches à  accomplir (médecine clinique) et l’échelle de la recherche (océanographie, espace). Elle est donc moindre dans le champ des sciences sociales où, à  l’échelle mondiale, seulement 29 % des articles sont le fait de deux auteurs ou plus. La production individuelle domine encore davantage dans les humanités, disciplines peut-être encore plus attachées que les sciences ou même les sciences sociales à  l’idée du génie créateur individuel et qui se méfient de la collectivisation de la recherche qui entraîne inévitablement un décentrement du moi créateur. Les modalités varient aussi selon les disciplines : les sciences sociales et les humanités étant les moins collectivisées, l’internationalité y prend d’abord la forme de la participation aux congrès internationaux. Et dans le domaine des sciences sociales, les disciplines qui collaborent le plus avec l'international sont l’économie, la gestion et le management, c'est-à -dire les secteurs les plus liés à  la mondialisation de l’économie. A l'inverse, les disciplines dont l'objet est le plus local comme les autres sciences sociales, la médecine clinique et le génie collaborent le moins.

Quels pays ?

Selon la même tendance, le nombre de pays impliqués dans les collaborations est en croissance : bien que la plupart des articles n’impliquent que des chercheurs de deux pays, la proportion de ceux impliquant plus de deux pays est passée de 7 % en 1980 à  16 % en 1997. Cela dépend de la taille des pays, puisque les chercheurs des pays les plus actifs sur le plan scientifique ont des liens formels de collaboration avec leurs pairs dans plus de cent pays différents, ce nombre ayant même doublé en dix ans pour les plus petits d’entre eux (comme le Portugal). En fait, un pays qui collabore peu pourra être qualifié d'autonome ou d'autarcique. Les deux interprétations sont possibles et la propension à  la collaboration internationale est forte pour des pays de petite et moyenne taille scientifique, les Etats-Unis comptant relativement à  leur taille moins de collaborations que les pays européens ou le Canada.

La carte ci-dessous représente les liens de collaboration les plus forts entre pays, liés à  la fois par la géographie et l'histoire culturelle. Ou, comme dans le cas des sciences sociales, par la langue puisque pour la France, le Canada arrive alors en troisième et la Belgique en quatrième place…

Quels financements ?

Cette internationalité se voit aussi dans l'origine des financements. Historiquement, les Etats nationaux ont eu tendance à  réserver leurs fonds de recherche à  leurs propres chercheurs et ils continuent de fournir l’essentiel des ressources qui sont à  la base de la recherche scientifique (plus de 90 %). L’accès à  des sources étrangères de financement est toutefois un phénomène qui a pris de l’importance au cours des vingt dernières années. En France, par exemple, 7,4 % du financement de la R & D provenait de sources étrangères en 1998 comparativement à  4,8 % en 1985. (…) Pour l’Europe, les proportions sont de 5,6 % en 1991 et de 7,4 % en 1998.

Conclusion

En conclusion de son étude que j'ai rapidement survolée ici, Yves Gingras considère que l'internationalité de la recherche ne va pas sans le patriotisme des chercheurs. C'est par exemple la raison de la lutte pour héberger le projet ITER en France : les retombées locales en même temps que la dimension internationale. Pasteur avait donc raison quand il affirmait en 1888, lors de l'inauguration de l'Institut Pasteur :

Si la science n’a pas de patrie, l’homme de science doit en avoir une, et c’est à  elle qu’il doit reporter l’influence que ses travaux peuvent avoir dans le monde.

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Encourager les logiciels libres ? Oui, mais...

Le 4 décembre dernier, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet rendaient leur rapport sur l'économie de l'immatériel. A cette occasion, le Ministre de l'économie constatait que "nous avons parfois manqué certaines opportunités majeures de ces 20 dernières années" et annonçait :

Compte tenu de l’importance majeure de l’industrie du logiciel dans l’économie de l’immatériel, et du dynamisme de notre recherche, des entreprises et des communautés françaises du logiciel libre, je souhaite que ces talents et ces compétences se fédèrent dans le cadre d’un pôle de compétitivité du logiciel libre et de l’« open source ».

Mais quel rapport avec la sociologie des sciences ?

Eh bien, ces constats du Ministre rejoignent le diagnostic d'un historien et sociologue des sciences, Christophe Bonneuil :

Dans le domaine informatique, plusieurs analystes estiment ainsi qu’une politique industrielle qui aurait misé, à  la fin des années 1980, sur le développement du logiciel libre en favorisant la naissance d’un tissu d’associations et de PME aurait été plus créatrice d’emplois et de richesses que les millions d’euros alors engloutis dans Bull.

Sauf que les remèdes diffèrent. Là  où Bonneuil veut favoriser le "tissu d'associations" et constate que dans ce nouveau contexte d'une "société de la connaissance disséminée" "la recherche institutionnalisée et professionnalisée, tout en conservant un rôle clé, est appelée à  abandonner sa posture hégémonique et à  apprendre à  se faire animatrice et catalyseur de dynamiques ascendantes de productions de connaissance et d’innovation", le Ministre répond (comme toujours) par "pôle de compétitivité", grosse structure, organisation complexe et tutti quanti. Alors que l'économie même du logiciel libre remet en cause certains de nos mécanismes (fordistes) les plus profondéments ancrés, le ministère se contente d'appliquer sa recette habituelle, certes à  la sauce XXIe siècle (un pôle au lieu d'une entreprise publique).

D'où cette taraudante question : le pôle de compétitivité du logiciel libre et de l'open source sera-t-il un Bull 2.0 ?

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De la co-construction des savoirs

Après avoir montré que le public doit se rapprocher de la science, il est temps de faire appel à  la sociologie pour comprendre ce que l'on entend par là . Et mettre fin à  certaines idées reçues.

Comme le montre très bien Michel Callon dans son article "Des différentes formes de démocratie technique" (Annales des mines n° 9, pp. 63-73, 1998), il existe trois manières pour la science de traiter le grand public. Dans le premier modèle, dit "de l'instruction publique" ou "deficit model", le public est spectateur et il faut l'éduquer à  tout prix ; "non seulement les scientifiques doivent tout apprendre au public, mais de plus ils ne peuvent rien apprendre de lui". Tant que le niveau moyen d'éducation scientifique est faible, les profanes ne peuvent se mêler de débats techno-scientifiques et les experts et scientifiques s'en chargent à  leur place. Le modèle ainsi formulé paraît grossier mais il est implicite dans de nombreux discours et actes. C'est ainsi que les responsables d'une centrale nucléaire vont informer les riverains pour faire disparaître les émotions et les croyances et faire tendre le risque subjectif de la population vers le risque objectif calculé par les scientifiques. Ou encore, pour interpréter les sondages (Eurobaromètres ou autres) sur le rejet des OGM ou la méfiance vis-à -vis des ondes électromagnétiques, les experts n'ont qu'une explication : les citoyens manquent simplement d'information et de connaissances. Le verdict tombe... et voilà  notre modèle de l'instruction publique ! Sauf que cette conception a été mise à  mal :

Il existe certes une corrélation entre le degré de méfiance envers la science, et la catégorie socioprofessionnelle, et cette corrélation a peut-être contribué à  renforcer le cadre d'interprétation issu du "deficit model", selon lequel ce sont les représentants des catégories les moins diplômées qui sont nécessairement les plus méfiants à  l'égard du développement scientifiques et techniques. Mais Daniel Boy (1999) a souligné l'évolution très significative de cette corrélation : actuellement, les plus diplômés partagent avec les autres une méfiance vis-à -vis des retombées du développement scientifique et technique, ce qui met en cause le stéréotype de la relation de causalité entre la méfiance (associée aux fameuses peurs irrationnelles) et le degré d'ignorance.[1]

Alors,

dans ce modèle, la légitimité des décisions politiques a deux sources. La première concerne les fins poursuivies et ne dépend que de la représentativité de ceux qui parlent au nom des citoyens. La seconde touche aux moyens mobilisés pour atteindre ces fins et est conférée par la connaissance scientifique, objective et universelle, qui permet d'anticiper les effets produits par certaines actions.

Ce modèle a récemment trouvé ses limites dans l'arène publique, d'où le deuxième modèle dit "du débat public", "obtenu par déformation et extension du précédent". Le savoir scientifique y a toujours une valeur universelle mais il est trop réduit, voire irréaliste ; il se complète donc de savoirs locaux, plus complexes et changeants. On reconnaît aussi au profane "des capacités d'analyse sociologique", égales à  celles du spécialiste qui se trouve en dehors de son domaine de spécialité ! De nombreuses procédures ont donc été mises au point pour faire intervenir les porteurs de savoirs locaux, qui sont désormais "des publics différenciés, ayant des compétences et des points de vue particuliers et contrastés" : enquêtes, auditions publiques, focus groups, conférences de citoyens etc.

Ces procédures qui instaurent des espaces publics de débat contribuent à  brouille les frontières habituelles entre spécialistes et non spécialistes. Celles-ci cèdent devant la mutiplication des divisions qui parcourent en tous sens la communauté des scientifiques et le public. L'accord s'obtient par compromis et ceux-ci résultent le plus souvent de jeux stratégiques compliqués: dans ce modèle, la lumière ne vient pas d'une science rayonnante et sûre d'elle-même ; elle naît de la confrontation des points de vue, de savoirs et de jugements, qui, séparés et distincts les uns des autres, s'enrichissent mutuellement. Les acteurs au lieu de se voir imposer des comportements et une identité dans lesquels, éventuellement, ils ne se reconnaissent pas, sont en position de les négocier.

Mais ce modèle pose la question de la représentativité. D'où l'intérêt du troisième modèle, dit de "co-production des savoirs" (qui est mon préféré à  long terme, comme l'indique le titre de ce billet). Dans celui-ci, les chercheurs et experts doivent dépasser leur crainte de voir le grand public envahir les espaces qui leur étaient réservés ; alors, l'expertise scientifique ne sollicite plus seulement la voix du public lors d'épisodes de débats mais l'intègre dès "l'élaboration des connaissances les concernant".

Dans ce modèle, la dynamique des connaissances est le résultat d'une tension toujours renouvelée entre la production de savoirs à  portée générale, standardisée et la production de connaissances tenant compte de la complexité des situations locales singulières. Ces deux formes de connaissances ne sont pas radicalement incompatibles, comme dans le modèle 1 ; elles ne sont pas engendrées indépendamment les unes des autres comme dans le modèle 2 ; elles sont les sous-produits conjoints d'un même et unique processus dans lequel les différents acteurs, spécialistes et non-spécialistes, se coordonnent étroitement [et ne sont plus dans un rapport de confiance ou méfiance].

On touche alors aux savoirs décrits par Christophe Bonneuil, émergeant "de tous les pores de la société plutôt que des seules institutions spécialisées - centres de recherche publics ou privés, bureaux des méthodes, comités d’experts, etc. -" (cf. mon exemple du récent prix Nobel de médecine). Et à  la notion de public indifférencié ou différencié se substitue celle de groupes concernés (associations de malades, acteurs locaux comme dans le cas des vignes transgéniques dans la région de Colmar etc.). Notons que du même coup, la question de la vulgarisation se pose tout à  fait autrement : elle n'existe plus en tant que telle puisque chaque interaction entre chercheur et citoyen devient prétexte à  échanger des savoirs, comprendre les méthodes de l'autre etc. Mais la vigilance doit alors s'imposer pour que les idéaux et le bien commun de la société ne soient pas confisqués par les intérêts particuliers de quelques groupes (problème que l'on retrouve plus largement en sociologie et politique).

Enfin, je renvoie les lecteurs curieux à  la page de mon wiki qui traite précisément de ce thème.

Notes

[1] Joà«lle Le Marec, "Le public dans l'enquête, au musée, et face à  la recherche" dans La publicisation de la science, Presses universitaires de Grenoble, 2005, p.87. Notons que le Daniel Boy en question sait très bien de quoi il parle puisqu'il décortique en profondeur et depuis des années les sondages d'opinion européens, notamment sur les biotechnologies...

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De la prétendue autonomie sacrée de la science

Pour la communauté des chercheurs, la science s'impose d'elle-même, les vérités éclatent toutes seules au grand jour : l'indépendance est un fait et ne peut se négocier. Pourtant, on constate que la science n'a jamais été autant soumise aux facteurs externes (partenariats public-privé, recherche soumise à  résultat appliqué, collusion avec le politique etc.). Dans le dernier cas malgré tout, en instituant les experts (issus du corps scientifique) comme représentants auprès du politique, les chercheurs ont tenté de faire valoir leur point de vue : c'est ce que Jean-Marc Lévy-Leblond appelle le "privilège d'extra-territorialité politique".

L'autonomie dont les scientifiques se targuent est donc trompeuse. En fait même, elle devient un mantra répété qui en perd tout sens : ces chercheurs vivent eux-mêmes sur un mythe, celui du scientisme[1], qui s'opposerait à  un adversaire fantasmatique inventé pour l'occasion, un "irrationalisme écologique mythifié" (Jean-Marc Lévy-Leblond, La pierre de touche, Gallimard Folio essais, 1996) :

La plupart des chercheurs constatent alors, sans en comprendre les raisons, que devient dérisoire leur rêve d'un savoir objectif et positif, à  la fois intéressant pour eux et utile à  l'humanité entière. Ils se retrouvent face à  des problèmes dont la complexité technique les met en échec et dont les enjeux sociopolitiques les dépassent. Leur profession, leurs institutions leur échappent de plus en plus, soumises qu'elles sont à  la régulation du politique et aux contraintes de l'économique. Plutôt que de reconnaître la source de ces transformations dans la nature même du système dont ils vivent, ils préfèrent alors se créer un adversaire fantasmatique, cet "irrationalisme écologique" mythifié. Le rejet de la menace sur un ennemi extérieur imaginaire est évidemment une constante de toute communauté humaine en crise d'identité et de projet. (p. 66)

Or, toujours selon Lévy-Leblond,

ce n'est qu'en acceptant de se plier à  la juste règle commune et en renonçant à  leur privilège d'extra-territorialité politique (dans les faits bien menacé, d'ailleurs !) que les acteurs de la science et de la technique trouveront les alliances sociales qui leur permettront de sauvegarder la relative autonomie et de retrouver le soutien collectif qui leur sont indispensables. (p. 59)

Argument renversé, donc !

Notes

[1] Le scientisme se rencontre partout dans la communauté des chercheurs (cf. l'épisode de l'appel de Heidelberg en juin 1992) mais surtout dans les collèges des prix Nobel et autres scientifiques institutionnalisés comme l'Académie des sciences.

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